jeudi 14 mars 2013

Katharine d'Aragon, princesse humiliée. Troisième partie: la déchéance.



 
« When in disgrace with fortune and men’s eyes
I all alone beweep my outcast state…”
Shakespeare, Sonnet XXIX.

 
Que Henry VIII trompe et humilie Katharine, c’est déjà l’évidence après dix années de mariage: ne doit-elle pas assister au baptême de Henry Fitzroy, le fils illégitime que lui a donné sa maîtresse Betsy Blount en 1519 ? Henry ne pleurniche -t-il pas tous les jours que Dieu ne lui a pas accordé d’héritier mâle légitime, alors que deux des six grossesses de sa femme ont abouti à la naissance de garçons vivants ? Etait-ce la faute de Katharine que la mortalité des bébés  au 16-ème siècle soit si élevée et que les deux garçons soient morts peu après leur naissance ?

 Henry devient, avec l’âge de plus en plus hypocrite. Si sa conscience le torture, il dévie la faute sur quelqu’un d’autre. Il invente une théorie qui l’arrange bien : si Dieu est fâché avec lui (et avec Katharine) c’est qu’ils on vécu durant tout leur mariage dans le pêché. Leur mariage n’en était pas un : il a épousé  la veuve de son frère, chose interdite par la Bible. Ce sentiment pieux, faisant fi de son parfait consentement lors  de son mariage avec Katharine en avril 1509, de son amour et son enthousiasme, et, très probablement, du fait que le mariage de Katharine avec son frère n’a jamais été consommé, (voir notre article du 9 mars 2013) donc que Katharine n’était pas la femme d’Arthur Tudor dans le sens biblique du terme, et il, Henry, devait le savoir plus que quiconque…Tout cela, il relègue dans les profondeurs de sa conscience. La vérité est – pour l’homme qu’il est devenu avec l’âge – ce qui arrange le Roi. Le Roi et son obssession : ce « secret » qu’on appellera « The King’s Secret Matter », à savoir la détermination d’Henry de se débarasser de sa femme fidèle et aimante, pour épouser la femme dont il est épris et qui se refuse à lui (« Your wife I cannot be, your mistress I shall not be ») tant qu’il ne l’épouse pas : Anne Boleyn.

 
Dès juin 1527 l’intention d’Henry de se séparer d’elle est connue par Katharine. Elle, qui a toujours souffert en silence, le sourire aux lèvres à chaque apparition publique, devient une tigresse. Elle défend désormais non seulement son honneur, sa dignité de Reine, d’Infante d’Espagne, de tante de l’Empereur Charles Quint. Elle défend le statut de sa fille, héritière du trône d’Angleterre. Sa fille, que Henry VIII (fortement sous l’influence d’Anne Boleyn, dont l’impudence ne connaît plus de limites) éloigne de sa mère et que Katharine ne reverra que très peu jusqu’à sa mort. Cette séparation et l’humiliation de voir disputailler « sa virginité » au moment de l’union avec Henry, le fait qu’on en fait une affaire internationale (entre l’Angleterre, d’abord du Cardinal Wolsey, puis du Cardinal Cranmer d’une part, de l’Espagne de Charles Quint  et le Saint Siège de l’autre part…)rendent Katharine malade. Mais malgré sa faiblesse physique, elle ne cède pas d’un iota. Elle  ne veut pas d’un tribunal anglais. En 1529, après une plaidoirie passionnée, prononcée à genoux devant son mari, elle quitte fièrement la salle du tribunal. Elle veut que son affaire soit jugée à Rome. Henry VIII et Anne Boleyn ne cachent plus du tout leur affaire devant le peuple. Et le peuple déteste de plus en plus Anne et crie sur son passage « No Nan Bullen !!! » pour lui signifier qu’elle n’est qu’une parvenue, une usurpatrice, qui « fait  tant de mal à notre  Bonne Reine  Katharine »..,

 
Les relations entre Henry VIII et Katharine d’Aragon se dégradent à un tel point qu'en juillet 1531 le roi quitte le Château de Windsor sans prendre congé de sa femme. Ils ne se reverront plus.

 
Katharine est reléguée d’un château obscur à un autre. Henry rompt avec Rome et devient le chef de l’Eglise de l’Angleterre et tous ceux qui ne reconnaissent pas son nouveau statut (dont le Cardinal John Fisher et le Chancelier Thomas More) y perdront leur vie. Comme Katharine, catholique romaine convaincue, ne reconnaît certainement pas cette rupture avec Rome, elle se séparera de plus en plus de ceux qui osent reconnaître la Suprématie de l’Eglise d’Angleterre. Elle restera de plus en plus seule. Elle devra restituer à Henry ses bijoux.  Son mariage sera annulé par une Cour anglaise le 23 mai 1533 et, désormais, Katharine ne sera plus Reine d’Angleterre, mais simplement Princesse Douairière de Galles, veuve d’Arthur Tudor. Katharine (tout comme la papauté) ne reconnaîtra jamais cette annulation et exigera qu’on l’appelle Reine d’Angleterre.

 
Le 25 janvier 1533 Henry épouse en secret sa maîtresse. Katharine n’en  sera informée qu’en avril 1533. Lorsque la fille d’Anne Boleyn naît, le 7 septembre 1533 (ce n’est autre que la future reine Elizabeth I) la princesse Mary, fille de Katharine d’Aragon sera assignée comme dame d’honneur au bébé…Anne sera couronnée Reine d’Angleterre en juin 1533. « Anne des Milles Jours »…Le 7 janvier 1536 Katharine d’Aragon mourra seule, sans la présence de sa fille unique Mary, dans les bras de Maria de Salinas, Lady Willoughby, qui l’a accompagnée d’Espagne 34  années auparavant. Henry et Anne montreront leur joie, avec  un parfait mauvais goût, en paraissant habillés en jaune lors d’un bal de la Cour.

Au « Beau Mois de Mai » de la même année Anne Boleyn, accusée d’inceste et d’adultère, sera décapitée à la Tour de Londres. Sic transit gloria mundi.

 Fin de la série de 3 articles.

 
Elisheva Guggenheim -Mohos 

2 commentaires:

  1. comment ça se fait qu'on célèbre le mariage d'Anne et Henry avant l'annulation du mariage de
    Catherine et Henry?

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    1. Effectivement, le mariage d'Anne Boleyn et de Henry VIII précéde l'annulation décidée par le Cardinal Cranmer. Cranmer,( comme Henry) affirme que le mariage d'Henry et de Katharine n'a jamais été valable.Donc, Henry était, en fait, "célibataire" et en droit d'épouser qui il voulait. Mais alors, pourquoi annuler un mariage "inexistant"? Ce ne sera que la première de la longue série d'inconsistances d'Henry VIII.

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