Si vous croyez, comme moi, que les paroles des vieilles
chansons françaises sont, souvent, de magnifiques documents historiques,
essayez d’écouter une fois des enfants français qui chantent, sans comprendre
le « background » historique et surtout, sans avoir la moindre idée
de la cruauté absolue du texte : « Malbrough s’en va-t-en
guerre, mironton- mironton mirontaine… » Ils rythment souvent leur
jeux
en chantant ces paroles avec la
mélodie de la non moins célèbre chanson anglaise « For He’s a Jolly Good
Fellow »…
Mais qui est ce « Malbrough » mystérieux, qui
« s’en va-t-en guerre » ?
Il s’agit, bien sûr, de John Churchill, Duc de Marlborough, ex- amant (gigolo ?) de la fameuse Barbara Palmer,
Comtesse de Castelmaine, elle-même une des favorites-en-titre de Charles II Stuart, roi d’Angleterre (The
Merry Monarch of England…1660-1685). Mais cet épisode de jeunesse de la vie de John Churchill est vite oublié si
l’on considère sa biographie entière. Il est certainement le plus grand soldat
de la fin 17-ème, début du 18-ème siècle. Vainqueur, (entre autres batailles de
la longue guerre européenne causée par
la Succession d’Espagne),de la Bataille de Blenheim. Victoire pour laquelle la
reine Anne Stuart le récompense en
finançant (en partie…) la construction d’une magnifique demeure familiale dans
les environs d’Oxford : le splendid Château de Blenheim. John Churchill ,
issu de la petite noblesse anglaise, fonde une glorieuse dynastie : il est
l’arrière-arrière-arrière-grand-père à la fois de Sir Winston Churchill et de
Lady Diana Spencer, Princesse de Galles,l’épouse défunte du Prince Charles et
mère du Prince William, futur roi d’Angleterre.
Mais revenons à la chanson. La gloire militaire de John
Churchill est restée dans toutes les mémoires, certes, mais ils s’est fait
beaucoup d’ennemis dans la conscience populaire européenne et les enfants
français chantent encore
cette ronde
enfantine pleine
de
malveillance : « Malbrough s’en va-t-en guerre.. »
« Qui sait s’il reviendra ? »
« Il reviendra à Pâques, ou à la Trinité ».
Mais, quelle joie : « La
Trinité se passe….Malbrough ne revient
pas ! »
Quelle bonne nouvelle : John Churchill, duc de Marlborough, disparu sur le champ de
bataille !! Il est, plus ou moins, un MIA ! (Missing In Action… Comme à la Guerre du Vietnam…).
Mais pourquoi ne pas aller plus loin dans la cruauté ? On avertit sa
femme : il ne reviendra jamais. « Monsieur Malbrough est mort !
Est mort et enterré ! «
Qui est cette épouse, et pourquoi est-on si heureux de lui faire du mal ? Il s’agit, bien
sûr, de la belle Sarah Jennings-Churchill, Duchesse de Marlborough, la femme la
plus ambitieuse de l’Angleterre et l’amour de la vie de John Churchill. Et si
cette ronde enfantine française est si méchamment dirigée non seulement à l'encontre du grand soldat
mais aussi à l'encontre de son épouse, c’est que l’histoire d’amour entre John et Sarah
Churchill est certainement une des histoires d’amour les plus célèbres de la
fin du 17-ème et le début du 18-ème siècle. John gagne ses batailles sur les
champs d’honneur du continent européen. Sarah gagne ses batailles à la Cour de
la reine Anne.
Sarah Churchill est une manipulatrice et une intrigante De grande classe.Déjà lorsqu’elles n’étaient que des adolescentes la jeune Sarah
Jennings avait une relation très
malsaine avec la jeune Anne Stuart, qui n’était, à l’époque, qu’une des
héritières présomptives au trône d’Angleterre. Lorsque, après le renversement
de son père catholique, Jacques II Stuart et après les décès successifs des héritiers de Jacques II(, les époux Mary II et Guillaume d’Orange, souverains conjoints
d’Angleterre) c’est enfin Anne qui monte sur le trône en 1702. Après cette date il ne s’agit
plus simplement d’une relation malsaine entre deux jeunes amies dont l’une
(Sarah) domine totalement l’autre (Anne). Il s'agit désormais d’une relation entre une
femme épanouie, mère de famille comblée et épouse
heureuse, qui par nature, par
intérêt, mue par une ambition dévorante, manipule totalement un souverain
régnant: à savoir Anne Stuart.Anne, une femme malheureuse qui, sur 18 grossesses pathétiques n’a eu qu’un
enfant vivant. Un fils malade qu’elle a adoré et qui est mort à l’âge de 11 ans.
Sarah Churchill n’a qu’une obsession dans sa vie :
l’avancement de la famille Churchill, la gloire de John, la grandeur de la dynastie
des Marlborough. Elle deploie ses talents de manipulatrice non seulement auprès de la grosse et triste reine dont
elle est la favorite. Elle use de son immense influence politique auprès les ministres et les partis, aussi bien lesWhigs que les Tories.Elle fait et et défait les gouvernements. Elle tyrannise les architectes des grandes œuvres, ( dont l’architecte
Vanbrugh qu’elle déteste, car elle
veut que ce soit le grand Christopher Wrenn, en personne, qui édifie le Palais de Blenheim,
le plus grand monument consacré à la Gloire des Churchills et qui finira par
coûter des sommes inimaginables ). Mais Sarah manipule également l’entourage de
la reine Anne, y compris ses domestiques. Et c’est justement une femme de
chambre de la reine, une parente pauvre qu’elle, Sarah, avait placée auprès
d’Anne, qui causera sa perte. Abigail Hill, intrigante à sa manière douce, secrète
et silencieuse, réussira à évincer l’exubérante Sarah Churchill de la place
qu’elle occupait à la Cour de la reine
Anne. Anne qui va se révéler plus têtue,
plus forte et moins bête que Sarah ne l’avait imaginée… Et c’est Abigail Hill sera la
nouvelle conseillère et la nouvelle favorite de Queen Anne, la dernière des Stuarts.
Après la rupture de Sarah et d’Anne en 1711, le Duc et la
Duchesse de Marlborough partiront en exil. Ils ne reviendront en Angleterre
qu’après la mort de la reine Anne en 1714, lors de l’avènement d’une nouvelle dynastie :
celle des Hanovre. John mourra en 1722. Sarah, inconsolable, continuera à intriguer jusqu’à
sa mort en 1744.
Pour illustrer ce récit je vous recommande la lecture de
« Courting her Highness : the Story of Queen Anne » écrit par la
romancière anglaise Jean Plaidy .Un bon livre, publié d’abord sous le titre
« The Queen’s Favorites » par Robrt Hale,en 1966, à Londres,et ensuite
publié sous le nouveau titre aux USA, par
Broadway
Paperbacks, en 1994,
une année après la mort de l’écrivain.
Elisheva Guggenheim-Mohosh