Lady Jane Grey, née en 1536 ou 1537, est la fille aînée de
Henry Grey, Duc de Suffolk et de
Lady
Frances Brandon .Frances Brandon est la fille de Mary
Tudor, la sœur cadette de Henry VIII. ( Mary est,un
court
moment, Reine de France. Ensuite ,
devenue veuve de Louis XII, elle épouse Charles Brandon, son amoureux de
toujours). Donc, Lady Jane Grey est très proche du trône : elle est
la
petite- fille de Mary, la sœur
de Henry VIII,( donc la petite-nièce de Henry
VIII ) et l’arrière-petite-fille du roi Henry VII Tudor…Mais
Jane est, surtout, un enfant mal aimée, mal
traitée, exploitée, battue, humiliée, tout autant que si elle était née dans un
hameau misérable, dans une famille de mendiants.
Jane Grey est considérée, avec sa cousine Elizabeth Tudor
(plus tard Elizabeth I) comme une des adolescentes les plus cultivées de la
Renaissance. A l'instar d'Elizabeth, elle a comme professeur un grand savant
humaniste. Dans le cas d’Elizabeth I
c’est Roger Ascham (Ascham,
qui
deviendra ami et confident de Jane). L’humaniste qui enseigne le grec, le
latin et l’hébreu à la petite Jane se nomme, lui, John Aylmer, mais la petite
adolescente, fervente protestante, tient une correspondance
également avec Erasme de Rotterdam, et avec
le réformateur zurichois Heinrich Bullinger. Au fond, ce que Jane Grey aime le
plus dans sa très courte vie ce sont les livres, les études, la
correspondance avec les plus grands savants de son temps .L’idée du pouvoir ,(
et surtout le pouvoir royal) lui
est
complètement
étrangère. Contrairement à
sa cousine brillante, Elizabeth Tudor, Jane Grey n’est pas ambitieuse...
Mais comment une adolescente si peu avide du pouvoir
est-elle devenue Reine d’Angleterre ? Reine durant neuf jours, mais Reine
quand même ?
Jane a été victime de l’ambition dévorante de trois
personnes. D’une part ses parents, monstres sans cœur lorsqu’il s’agissait
de leur fille aînée, d’autre part John
Dudley, le tout-puissant Duc de Northumberland, qui n’avait qu’une idée en
tête : régner sur l’Angleterre à travers l’un de ses fils (n’importe
lequel des cinq…) en le mariant à une héritière du trône.(voir notre article du 19 octobre 2012, «
Elizabeth I, une vieille fille très courtisée, deuxième partie ».) Or Jane
Grey n’est pas une héritière directe au trône d’Angleterre. La fille aînée du
roi Henry VIII, Mary, et la fille cadette de Henry VIII, Elizabeth, viennent
avant elle dans l’ordre de la succession. Telle est la décision du Parlement
anglais en 1544. C’est aussi ce qui ressort du testament de Henry VIII :
si son héritier légal, le jeune Edward VI meurt
sans descendance, ce sera le tour de ses filles à régner. Qu’est-il
donc arrivé ?
C’est que John Dudley, fervent protestant (tout comme Jane,
tout comme le jeune roi Edward VI) est terrifié à l’idée de voir Marie la
Catholique, cousine de l’Empereur Charles Quint, petite-fille des grands
souverains catholiques espagnols Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon,
monter sur le trône d’Angleterre et de ramener l'Angleterre dans le giron de Rome. Edward
VI est mourant. Il
a toujours été
malade. John Dudley ne fait que précipiter sa mort en lui administrant, selon
les rumeurs de l’époque, des doses d’arsenic… Et il convainc le jeune roi de
nommer dans son testament Lady Jane Grey comme son successeur. Ceci en
violation flagrante et de l’Acte du Parlement anglais de 1544 et du testament
de son père Henry VIII.
Or, depuis deux mois Jane Grey est sa belle-fille, l’épouse
de son fils Guilford
Dudley. Battue,
enfermée, affamée par ses parents, elle
finit par consentir d’épouser le fils du Duc de Northumberland en mai
1553 .Jane qui n’a jamais voulu autre chose qu’étudier,
monte sur le trône, poussée par le clan
Dudley, le 10 juillet 1553, à l’âge de 16 ans .La mascarade du règne de Jane
Grey et Guilford Dudley, deux adolescents manipulés et innocents, durera 9
jours : Mary, l’héritière légale, soutenue par la majorité des anglais
reprend le pouvoir. John Dudley est décapité, Jane et Guilford sont condamnés à
mort. Mais Mary ne veut pas les faire tuer. Pour elle ce ne sont que des enfants
. Jane est la fille de sa cousine, elle la connaît depuis toujours…Ce qui
décide Mary (« Bloody Mary » :Marie la sanglante…) de
faire exécuter Jane et Guilford Dudley
au début de l’année 1554 c’est l’Insurrection de Thomas Wyatt
(insurrection à laquelle Jane Grey n’est mêlée ni de près ni de loin :
elle croupit depuis des mois à la Tour de Londres…). Une tentative de
renversement de Mary
en signe de
protestation contre son
mariage à
l’héritier du trône d’Espagne, le futur Philippe II. Or le mariage à Philippe le catholique
est le rêve de cette vieille fille qu' est la reine Mary ...
Mary promet d’épargner la vie de Jane si elle devient
catholique. Jane refuse. Le 12 février Guilford est décapité. Jane devient un
martyre du protestantisme en montant, le même jour, sur l’échafaud.
Jusque là pratiquement tout le monde est d’accord. Mais deux
images différentes des relations entre les deux époux Dudley, Jane et Guilford,
ont apparu
entre 1986 et 2006. Dans le
film « Lady Jane » de Trevor Nunn, où la très jeune Helena
Bonham-Carter a fait ses débuts cinématographiques en 1986, les relations entre
les deux adolescents sont dépeintes d’une manière très romantique. Le mariage
de convenance, arrangé par leurs parents ambitieux et intriguants, serait
devenu un amour véritable et profond. Un amour qui
fleurit à l’ombre de la mort… Tout autre est
l’image projetée par le livre de l’historienne Alison Weir (historienne souvent
en tête de la liste des best-sellers du New York Times) .Son livre, « Innocent
Traitor », paru d’abord à Londres chez Hutchinson en 2006, puis à New York
chez Ballantine Books en 2007, dépeint Guilford comme un adolescent faible,
grossier, qui
viole Jane à plusieurs
reprises, un être abject pour qui elle a , tour à tour, de la haine, du dégoût
et, à la fin, de la pitié .Car, après l’exécution de son père, enfermé avec ses
frères à la Tour de Londres et attendant la mort, Guilford demande humblement pardon
à Jane .Il lui donne un livre de prières en souvenir. Il demande un peu
d’affection. Il est pathétique .Jane ne peut pas
lui pardonner l’humiliation des viols, mais
comprend
qu’il a été, tout comme elle,
un jeune être sacrifié sur l’autel de l’ambition démesurée des parents. Elle meurt d’autant plus terrifiée et abandonnée….
Elisheva Guggenheim-Mohosh. Voir aussi mon autre blog, Les
Billets d’Elisheva Guggenheim :
www.elishevaguggenheim.blogspot.com