J’ai revu récemment en DVD un film couronné de six Oscars
en 1966 : " Un homme pour l'éternité" (A Man for all Seasons) de Fred Zinnemann, dont le scénario
brillant est basé sur la pièce du dramaturge anglais Robert Bolt. J’ai revu ce
film magnifique avec une certaine tristesse : tous les acteurs principaux
sont maintenant disparus. Disparu Paul Scofield, Oscar de la meilleure
interprétation masculine pour son rôle de Sir Thomas More, disparu Orson Welles
(le Cardinal Wolsey), tout comme l’exubérant Robert Shaw, qui joue le roi Henry
VIII, Dame Wendy Hiller, qui joue la formidable (au 16-ème siècle on l’appelait «
la harpie »…) Lady Alice More…Et ce qui est le plus douloureux, Susannah
York, idole de notre adolescence, celle qui personnifiait la beauté anglaise
(la véritable « english rose ») est morte en 2011. Dans ce film elle
jouait Margaret More (Meg), la fille préférée de Thomas More….
Justement, Meg. Margaret More, la fille la plus cultivée de
son époque. Dans le film c’est surtout elle qui est mise en évidence. En
réalité Sir Thomas More (1478-1535), savant humaniste, avocat devenu conseiller
du roi, puis chancelier du royaume, élevait au moins quatre, mais probablement
cinq, voire six filles. Il avait trois filles d’un premier mariage :
Margaret, Elizabeth et Cecily ainsi qu’un fils, John. Devenu veuf il a épousé
une veuve, Alice Middleton qui avait, elle, selon les sources, une ou deux
filles. Selon d’autres sources il aurait adopté la petite Anne Cresacre qui est
devenue, plus tard, l’épouse de son fils John.
Ma version préférée est celle de la famille More, telle
qu’elle est décrite par la romancière anglaise Jean Plaidy, dans son livre
« The King's Confidante » (paru en 1970 aux USA chez Putnam’s Sons,
et, précédemment, sous un autre titre, « St. Thomas’s Eve » chez
Robert
Hale Limited, à Londres, en
1954). Jean Plaidy parle d’une immense famille heureuse, avec un fils et cinq
filles, les trois filles de Sir Thomas (Meg, Elizabeth et Cecily), la fille
d’Alice Middleton, Ailie,
et une
orpheline adoptée, Margaret (Mercy) Gigs. Outre les parents (Thomas et Alice
More) y résident un tas de jeunes hommes sympathiques, qui épouseront les
filles (dont William Roper, mari de Meg, qui écrira en 1555 la première
biographie de Thomas More),le savant humaniste Erasme de Rotterdam (qui
partira, parce que Alice Middleton-More , la « harpie », le déteste…)
et Hans Holbein le Jeune qui partira à la Cour du Roi Henry VIII pour devenir
un des plus grands peintres-portraitistes de la Renaissance, mais aussi, et
c’est moins connu, architecte et « designer » des joyaux de la
Renaissance anglaise. L’ambiance idyllique, champêtre du roman sert de fond à
une tragédie : celle du destin de Sir Thomas More (aujourd’hui, pour les
catholiques, Saint Thomas More).Tragédie qui s’abattra sur tous ceux qui aiment
cette grande figure historique, et, en premier lieu, ses filles (toutes les
cinq).
Mais qui était Sir Thomas More ? En bref ( car il
existe sur Wikipedia un très bel article que vous pouvez consulter) More était
le plus grand savant humaniste anglais, resté dans la postérité essentiellement
pour deux raisons. La première est son ouvrage Utopia ,mot qui signifie en grec
soit « nulle part » soit « un endroit qui est bon ». Il
s’agit d’une île imaginaire, avec un ordre social égalitaire où hommes et
femmes auront la même éducation, où la propriété des terres et des moyens de
production sera collective et où il régnera une absolue tolérance religieuse.
Bref, le contraire de la société anglaise ou, en général, européenne de
l’époque. Le mot Utopia,( Utopie) est devenu synonyme d’un rêve inaccessible,
d’un ordre social impossible à atteindre. (du moins dans un avenir proche).Cet
ouvrage a influencé tous les penseurs des siècles suivants, notamment Jonathan
Swift
(auteur des Voyages de Gulliver) et tous les « socialistes
utopiques », tels Saint-Simon ou Charles Fourier,( concepteur de l’idée des
Phalanstères), les fondateurs des Kibbutz israéliens, ou les bolchéviques russes
(le nom de Thomas More figure sur l’obélisque en bas du Kremlin…).
L’autre élément qui a contribué à sa renommée et qui a fait
de lui un martyr catholique et même un saint (il a été béatifié en 1886 et
canonisé en 1935) c’est sa résistance farouche à son souverain égocentrique,
narcissique et tyrannique, le roi Henry VIII d’Angleterre et à l’idéee fixe de
ce dernier : épouser sa maîtresse, Anne Boleyn, coûte que coûte. Même au
prix d’un divorce mal vu par l’Eglise.
Même au prix d’une rupture avec Rome. En refusant de reconnaître Henry VIII
comme le chef de l’Eglise d’Angleterre, Thomas More scelle son destin : il
sera décapité en juillet 1535.
L’opposition entre Henry VIII et Thomas More est au centre
de la pièce de Robert Bolt et le film « Un homme pour l’éternité » de
Fred Zinnemann. Le livre de Jean Plaidy suit le destin des cinq filles, des
véritables « femmes modernes », femmes d’intérieur accomplies,
épouses et mères de famille et, en même temps, des intellectuelles, parlant
grec et latin, connaissant les auteurs classiques, les mathématiques et
l’astronomie, à une époque où la plupart des femmes ne savait ni lire, ni
écrire…Mercy Gigs (la fille adoptive) deviendra médecin et épousera un médecin
de la Cour, le docteur John Clement. Même la « snobinarde » Ailie,
la fille de Lady Alice More, qui ne rêve que de robes magnifiques et des bals de
la Cour,et qui finira par épouser un noble Lord et devenir Lady Allington, même
elle fera un effort surhumain !
Pour ne pas décevoir le père qu’elle aime, et ne pas être différente de
ses sœurs savantes, elle parlera le grec et le latin… Mais, bien sûr, comme
dans le film, ce sera Meg (Margaret More-Roper) la plus aimée, la préférée de
son père. Celle qu’on donnera en exemple dans toute l’aristocratie anglaise et
qui sera la preuve
vivante de la théorie
de son père, à savoir, que les femmes ont la même capacité intellectuelle que
les hommes et la même aptitude aux études !
C’est aussi Meg
qui,
après la décapitation de Sir Thomas More, volera sa tête exposée sur le Pont de
Londres et la fera enterrer dans le caveau de la famille Roper.
Elisheva Guggenheim-Mohosh..
voir aussi mon autre blog,
www.elishevaguggenheim.blogspot.ch
actuellement une série de quatre articles à propos de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor et ses
conséquences.
Un homme extraordinairement moderne... Noemie
RépondreSupprimerUn homme tres moderne...
RépondreSupprimerUn homme a la fois moderne et fanatique incapable de comprendre la douleur des gens qu'il envoyait au bucher simplement parce que ces hommes lisaient des bibles en anglais. De ce fait il est parmi de ceux que j'ai le moins de compassion parmi les victimes du roi Henry VIII même si il faut avouer que ce n'était pas le pire.
RépondreSupprimerTrès bon article