samedi 24 novembre 2012

Les filles de Sir Thomas More.



J’ai revu récemment en DVD un film couronné de six Oscars en  1966 : " Un homme pour l'éternité" (A Man for all Seasons) de Fred Zinnemann, dont le scénario brillant est basé sur la pièce du dramaturge anglais Robert Bolt. J’ai revu ce film magnifique avec une certaine tristesse : tous les acteurs principaux sont maintenant disparus. Disparu Paul Scofield, Oscar de la meilleure interprétation masculine pour son rôle de Sir Thomas More, disparu Orson Welles (le Cardinal Wolsey), tout comme l’exubérant Robert Shaw, qui joue le roi Henry VIII, Dame Wendy Hiller, qui joue la formidable (au 16-ème siècle on l’appelait «  la harpie »…) Lady Alice More…Et ce qui est le plus douloureux, Susannah York, idole de notre adolescence, celle qui personnifiait la beauté anglaise (la véritable « english rose ») est morte en 2011. Dans ce film elle jouait Margaret More (Meg), la fille préférée de Thomas More….

Justement, Meg. Margaret More, la fille la plus cultivée de son époque. Dans le film c’est surtout elle qui est mise en évidence. En réalité Sir Thomas More (1478-1535), savant humaniste, avocat devenu conseiller du roi, puis chancelier du royaume, élevait au moins quatre, mais probablement cinq, voire six filles. Il avait trois filles d’un premier mariage : Margaret, Elizabeth et Cecily ainsi qu’un fils, John. Devenu veuf il a épousé une veuve, Alice Middleton qui avait, elle, selon les sources, une ou deux filles. Selon d’autres sources il aurait adopté la petite Anne Cresacre qui est devenue, plus tard, l’épouse de son fils John.

Ma version préférée est celle de la famille More, telle qu’elle est décrite par la romancière anglaise Jean Plaidy, dans son livre « The King's Confidante » (paru en 1970 aux USA chez Putnam’s Sons, et, précédemment, sous un autre titre, « St. Thomas’s Eve » chez Robert  Hale Limited, à Londres, en 1954). Jean Plaidy parle d’une immense famille heureuse, avec un fils et cinq filles, les trois filles de Sir Thomas (Meg, Elizabeth et Cecily), la fille d’Alice Middleton, Ailie,  et une orpheline adoptée, Margaret (Mercy) Gigs. Outre les parents (Thomas et Alice More) y résident un tas de jeunes hommes sympathiques, qui épouseront les filles (dont William Roper, mari de Meg, qui écrira en 1555 la première biographie de Thomas More),le savant humaniste Erasme de Rotterdam (qui partira, parce que Alice Middleton-More , la « harpie », le déteste…) et Hans Holbein le Jeune qui partira à la Cour du Roi Henry VIII pour devenir un des plus grands peintres-portraitistes de la Renaissance, mais aussi, et c’est moins connu, architecte et « designer » des joyaux de la Renaissance anglaise. L’ambiance idyllique, champêtre du roman sert de fond à une tragédie : celle du destin de Sir Thomas More (aujourd’hui, pour les catholiques, Saint Thomas More).Tragédie qui s’abattra sur tous ceux qui aiment cette grande figure historique, et, en premier lieu, ses filles (toutes les cinq).

Mais qui était Sir Thomas More ? En bref ( car il existe sur Wikipedia un très bel article que vous pouvez consulter) More était le plus grand savant humaniste anglais, resté dans la postérité essentiellement pour deux raisons. La première est son ouvrage Utopia ,mot qui signifie en grec soit « nulle part » soit « un endroit qui est bon ». Il s’agit d’une île imaginaire, avec un ordre social égalitaire où hommes et femmes auront la même éducation, où la propriété des terres et des moyens de production sera collective et où il régnera une absolue tolérance religieuse. Bref, le contraire de la société anglaise ou, en général, européenne de l’époque. Le mot Utopia,( Utopie) est devenu synonyme d’un rêve inaccessible, d’un ordre social impossible à atteindre. (du moins dans un avenir proche).Cet ouvrage a influencé tous les penseurs des siècles suivants, notamment Jonathan Swift
(auteur des Voyages de Gulliver) et tous les « socialistes utopiques », tels Saint-Simon ou Charles Fourier,( concepteur de l’idée des Phalanstères), les fondateurs des Kibbutz israéliens, ou les bolchéviques russes (le nom de Thomas More figure sur l’obélisque en bas du Kremlin…).

L’autre élément qui a contribué à sa renommée et qui a fait de lui un martyr catholique et même un saint (il a été béatifié en 1886 et canonisé en 1935) c’est sa résistance farouche à son souverain égocentrique, narcissique et tyrannique, le roi Henry VIII d’Angleterre et à l’idéee fixe de ce dernier : épouser sa maîtresse, Anne Boleyn, coûte que coûte. Même au prix d’un divorce mal vu par l’Eglise.   Même au prix d’une rupture avec Rome. En refusant  de reconnaître Henry VIII comme le chef de l’Eglise d’Angleterre, Thomas More scelle son destin : il sera décapité en juillet 1535.

L’opposition entre Henry VIII et Thomas More est au centre de la pièce de Robert Bolt et le film « Un homme pour l’éternité » de Fred Zinnemann. Le livre de Jean Plaidy suit le destin des cinq filles, des véritables « femmes modernes », femmes d’intérieur accomplies, épouses et mères de famille et, en même temps, des intellectuelles, parlant grec et latin, connaissant les auteurs classiques, les mathématiques et l’astronomie, à une époque où la plupart des femmes ne savait ni lire, ni écrire…Mercy Gigs (la fille adoptive) deviendra médecin et épousera un médecin de la Cour, le docteur John Clement. Même la « snobinarde » Ailie, la fille de Lady Alice More, qui ne rêve que de robes magnifiques et des bals de la Cour,et qui finira par épouser un noble Lord et devenir Lady Allington, même elle fera un effort surhumain !  Pour ne pas décevoir le père qu’elle aime, et ne pas être différente de ses sœurs savantes, elle parlera le grec et le latin… Mais, bien sûr, comme dans le film, ce sera Meg (Margaret More-Roper) la plus aimée, la préférée de son père. Celle qu’on donnera en exemple dans toute l’aristocratie anglaise et qui sera la preuve  vivante de la théorie de son père, à savoir, que les femmes ont la même capacité intellectuelle que les hommes et la même aptitude aux études !

C’est aussi Meg  qui, après la décapitation de Sir Thomas More, volera sa tête exposée sur le Pont de Londres et la fera enterrer dans le caveau de la famille Roper.

Elisheva Guggenheim-Mohosh..
voir aussi mon autre blog, www.elishevaguggenheim.blogspot.ch
actuellement une série de quatre articles à propos de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor et ses
conséquences.


3 commentaires:

  1. Un homme extraordinairement moderne... Noemie

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  2. Un homme tres moderne...

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  3. Un homme a la fois moderne et fanatique incapable de comprendre la douleur des gens qu'il envoyait au bucher simplement parce que ces hommes lisaient des bibles en anglais. De ce fait il est parmi de ceux que j'ai le moins de compassion parmi les victimes du roi Henry VIII même si il faut avouer que ce n'était pas le pire.
    Très bon article

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